La capacité de résilience et de mobilisation des jeunes dans la réponse au séisme qui a frappé l’ile en août 2021 est un motif d’espoir pour les Nations Unies.
Chanel Bernard, 29 ans, est originaire de Pestel, une commune du département de la Grand'Anse en Haïti, située à quelque 80 kilomètres de la ville des Cayes. La vie des 90.000 habitants de cette commune nichée entre mer et montagnes est rythmée par les jours de marché - les mercredis et samedis - et le mouvement des bateaux déchargeant dans le port leurs marchandises en provenance des villes avoisinantes.
Son baccalauréat en poche, Chanel est allé suivre des études universitaires à Port-au-Prince, comme le font chaque année des milliers de jeunes Haïtien(ne)s. La capitale concentre en effet la majeure partie des offres de formation supérieure et des services universitaires du pays. "J’étais content de fréquenter l’université, même si la séparation d’avec mes parents et mes sept frères et sœurs était parfois dure", dit-il. Passionné de musique, Chanel a trouvé un emploi comme disc-jockey pour financer ses études d’informatique dans une université privée.
Mais, en 2020, à la suite de la montée de l’insécurité dans la capitale et de la dégradation de la situation économique, Chanel a dû interrompre ses études et retourner vivre à Pestel. Il n’est pas un cas isolé : chaque année, la pauvreté et l’insécurité, notamment à Port-au-Prince, poussent un grand nombre de jeunes Haïtien(ne)s à quitter l’école ou l’université. Les filles et jeunes femmes sont particulièrement touchées par ce phénomène. En juin de cette année, une flambée de violence liée aux gangs dans Port-au-Prince a causé le déplacement d'environ 19 mille personnes.
©Chanel Bernard | Chanel Bernard, un jeune U-Reporter à Pestel, en Haïti.
Loin de se décourager, Chanel a ouvert, à son retour à Pestel, un commerce de boissons, tout en continuant à travailler comme disc-jockey. C’est à ce titre qu’on a fait appel à lui, un jour, pour le lancement du club U-Report local.
Lancé en Haïti en juin 2019, U-Report est un outil gratuit mis en place par le système des Nations Unies à travers l’UNICEF et le Bureau international du Travail (OIT), en partenariat avec le ministère des affaires sociales et du travail (MAST), l’Institut du bien-être social et de recherches et le Conseil national (IBESR) des télécommunications (CONATEL). Il permet aux jeunes de se mobiliser sur les réseaux sociaux et par SMS pour résoudre les problèmes de leur communauté, par exemple dans les domaines de la protection de l’enfance, de la santé, de l’éducation, de l’eau, de l’hygiène et de l’assainissement. Séduit par l’initiative, qui regroupe 36.000 jeunes, Chanel n’a pas hésité à s’engager. "Ma communauté avait grand besoin de moi, et je voulais me rendre utile", explique-il.
Un réseau de mobilisation communautaire
Le samedi 14 août 2021, aux environs de huit heures du matin, Chanel Bernard se rendait comme à son habitude chez un transporteur maritime pour lui demander de lui acheter des marchandises dans la ville de Jérémie ou à Port-au-Prince, quand un séisme de magnitude 7,2 a frappé les départements de la Grand’Anse, du Sud et des Nippes d’Haïti.
"Tout s’est mis à bouger autour de moi. À la façon dont la terre tremblait sous mes pieds, j’ai vite compris l’ampleur du désastre", raconte-il. Comprenant la nécessité d’agir vite, Chanel a commencé à demander aux habitants de sortir de chez eux. " Je suis allé sur la côte pour dire aux gens de rentrer dans les terres, un tsunami pouvant se produire à tout moment", poursuit-t-il. Chanel s’est connecté à son compte Facebook et fait jouer ses réseaux de distribution et celui des jeunes U-reporters pour acheminer et distribuer de l’eau dans la ville.
"La situation à Pestel était déjà difficile avant le tremblement de terre, et c’est entre autres pour cela que j’étais parti à Port-au-Prince. Mais aujourd’hui, on manque de tout, à commencer par de l’eau potable. Les gens dorment à la belle étoile".
Chanel Bernard
©Chanel Bernard | Maisons détruites à Pestel par le séisme qui a frappé Haïti en août 2021
Au total, le séisme a fait plus de 2.000 morts, 12.000 blessés et des centaines de disparu(e)s et a détruit des dizaines de milliers d’habitations. Au total, 800.000 personnes ont été touchées, parmi lesquelles 650.000 ont des besoins humanitaires. L’initiative U-Report a été déterminante dans la réponse humanitaire au tremblement de terre, notamment dans la collecte d’informations. Selon le dernier rapport de situation en date de l’UNICEF, qui se fonde notamment sur les données recueillies par le réseau U-Report, 72% des habitants des trois départements les plus touchés ont indiqué que les établissements de santé situés près de chez eux ont été endommagés par le tremblement de terre et au moins 60% ont répondu que les services de santé ont été interrompus en raison d'un manque de personnel, d'équipements et de fournitures médicales et du fait que les structures de santé s’étaient effondrées ou avaient été endommagées.
Les Nations Unies et leurs partenaires ont lancé, en août, un appel humanitaire d’urgence (“flash appeal”) de 187,3 millions de dollars pour fournir une aide d'urgence à 500.000 personnes touchées par le tremblement de terre, notamment en matière d'abris, d'eau et d'assainissement, de soins de santé d'urgence, de nourriture, de protection et de relèvement rapide. Au 3 septembre, près de 46% des familles touchées ont reçu une aide humanitaire, selon le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA).
Un motif d’espoir
©Chanel Bernard | De jeunes U-reporters aident au transport et à la distribution d'eau aux habitants de Pestel au lendemain du tremblement de terre qui a frappé Haïti en août 2021.
La capacité de résilience et de mobilisation communautaire en Haïti est un motif d’espoir pour les Nations Unies. “Les organisations locales, les organisations de base, les autorités locales, les brigadiers de la Protection Civile, les nombreux volontaires, y compris les jeunes du réseau U-Report, ont été les premiers à secourir les citoyens dans le besoin, avant l’arrivée des équipes de secours. Et toute cette solidarité entre les gens, entre les communautés, ce konbit, se poursuit dans le cadre de la réponse humanitaire et du relèvement. Ce sont même les principaux moteurs du relèvement – et les appuis extérieurs doivent viser à soutenir ces efforts locaux et non pas à s’y substituer”, a déclaré Bruno Lemarquis, le Coordonnateur résident des Nations Unies et Coordonnateur humanitaire en Haïti.
"L’engagement et l’implication que nous voyons dans la communauté des jeunes "U-reporters" sont le résultat de l’action efficace engagée par le système des Nations Unies en Haïti à travers l’UNICEF. La mobilisation de ces jeunes est pour nous un motif de fierté et d’espoir. Leur fougue, leur détermination, mais surtout leur spontanéité à aider les plus démunis, notamment les enfants et les femmes, constituent un levier de changement pour Haïti. Ils sont l’avenir du pays", a souligné, pour sa part, Bruno Maes, le Représentant de l’UNICEF en Haïti.
"Je suis si fier d’avoir aidé ma communauté", se réjouit Chanel, invitant les jeunes à s’impliquer davantage dans la vie de leur communauté. "Il faut mettre la main à la pâte. Ensemble, nous pouvons faire beaucoup de choses ! Haïti a besoin de nous!
Chanel Bernard
©Chanel Bernard | Vue de la localité de Pestel, en Haïti.